mercoledì 7 dicembre 2011

In viaggio verso Ginevra alla vigilia di Natale del 62. Culoz

La lunga attesa

Era il 1962. Qualche giorno prima di Natale. Il treno ci aveva lasciato al cadere della notte su di una pensilina deserta nella stazioncina di Culoz. La piccola motrice diesel per Ginevra era partita da un pezzo senza aspettare gli incolpevoli ritardatari.



Ci eravamo accomodati nella sala d'aspetto  dove sulle poche panche di legno scuro pioveva dall'alto la luce fioca di due lampadine nude. In un angolo ardeva una scoppiettante stufa a legna che gettava sulle pareti ombre in continuo movimento. Davanti a noi sedevano pochi altri viaggiatori, chiusi in un impenetrabile e silenzioso riserbo. La stazione oltre i vetri della stanza era deserta, con rari lampioni lungo l’unico corpo centrale. Brevi tunnel collegavano i due tronchi ferroviari, il Quai 1 e il Quai 2. Mio padre sembrava assorto e preoccupato, mia madre chiedeva senza aspettare risposta, cosa fosse meglio fare. I cugini di Ginevra avrebbero aspettato. Di telefonare neanche parlarne, troppo complicato. Le ore passarono lente una due poi tre e infine  quattro. La notte era fonda quando arrivò da chissà dove il nostro treno. Seduto finalmente nello scomodo posto vicino al finestrino pensavo che di Culoz mi rimaneva il ricordo di 2 binari, di una tettoia in legno e di qualche basso caseggiato in lontananza. Del paese che di sicuro aveva una piazza, una via principale e dei negozi, nulla. Il ruggito del motore in accelerazione precedette di poco lo scossone della partenza finché la notte buia popolata qua e la di fioche luci ci inghiottì lasciando dietro a noi la pensilina di nuovo deserta.  

Recentemente ho trovato un interessante estratto dal libro di  Jean-Christophe Bailly | Culoz («Le dépaysement »), 2011 che cito testualmente:


Culoz, dans le département de l’Ain, pour la plupart des voyageurs ce n’est qu’une gare : lieu entraperçu (mais surtout pas non-lieu – la fortune de ce concept vide, même s’il désignait tout autre chose (les aires neutres des aéroports) a été catastrophique à sans presque rien autour – un village (ou une ville ?) que l’on ne voit pas, des contreforts rocheux, des bois, des voies qui semblent abandonnées, sur une aire assez grande, peut-être des hangars. Un noeud ferroviaire, comme nous on disait, où se rencontrent les lignes qui conduisent de Paris ou de Lyon à Genève et celles qui viennent d’Aix-les-Bains et de Chambéry, mais qui semble être resté de côté et n’avoir pas été pris en compte dans la modernisation des transports : les amis de Genève m’évoquent le souvenir, datant des années soixante, de nocturnes et quelque peu mystérieux changements de train et, aux heures creuses de l’après-midi, on peut même sans peine remonter plus loin dans le passé : il y a en effet dans cette gare comme une vibration d’anciens convois, avec des malles, des troufions et de la vapeur – c’est là aussi qu’un jour, en passant, je vis rouler lentement, seul, détaché, un wagon à ridelles sur la plate-forme duquel, étrangement, quelque chose brûlait. En tout cas l’idée m’est venue d’aller voir de plus près ce qui pouvait bien se cacher derrière ce nom, Culoz, et j’avais l’espoir, soit d’un charme désuet, soit d’une tendresse encastrée, comme le Bugey en ménage la surprise (mais un peu plus à l’ouest, vers Saint-Rambert ou Virieu).
Or rien comme cela n’advint, et c’est ce que je dois raconter, non parce que simplement je me le serais dit, mais parce qu’il m’a semblé tomber là-bas sur une sorte de siphon – non seulement ce que l’n appelle un trou, mais quelque chose de très difficile à décrire, soit l’un de ces lieux, et sans doute y en a-t-il beaucoup, où ni le passé, ni le présent, ni l’avenir n’ont de consistance et où tout semble devoir se diluer dans une sorte de survie qui n’a même pas pour elle l’indolence. Peut-être est-ce là, aujourd’hui, que se cache, loin des centres et comme en exil au sein même du monde rural, la vraie banlieue ? Je ne sais pas, et je sais pas non plus s’il faut nommer, rassembler sous la houlette d’un nom générique ce qui malgré tout se déclare dans une complète solitude.
À proximité immédiate de la gare, tout ce qui pourrait faire penser que l’on est arrivé en un point du monde qui aurait le bonheur ou peut-être même la présomption de se déclarer comme tel n’existe plus. Le Derby Bar, au pied d’une maison grise, et un hôtel surmonté d’un fronton en bois genre Far West où se lisent encore vaguement les lettres IMPERA sont fermés l’un comme l’autre. À travers les rideaux déchirés de l’hôtel, on aperçoit une grande salle vide avec quelques gravats et une cheminée en briques. On pense à de lointains banquets, à ces photos de groupe en noir et blanc ou aux couleurs passées où tout le monde autour de la table encombrée de bouteilles prend la pose, l’un des convives, un peu en retrait, faisant le mariolle. Une route s’en va vers le centre sous la roche grise dont il est inutile de s’approcher (chutes de pierres). Le centre, quelques rues qui se croisent, sans même qu’il y ait une place, de jeunes Beurs qui errent, un bar qui s’appelle le Rif, un autre le Fidji. Les maisons sont petites, laides, tout est gris ou ocre sale, des bacs à plante vides ornent le pont qui franchit une rivière mince et incertaine, juste à côté de la toute petite maison où, une plaque le signale, HENRI ET LÉON SERPOLLET, PRÉCURSEURS DE L’AUTOMOBILE, INVENTÈRENT EN 1875 LA CHAUDIÈRE À VAPORISATION INSTANTANÉE, il y a donc des gloires locales. Sans même que l’on s’en rende compte, on sort déjà du bourg, il y a une usine sans identité déclarée, un stade, un arrêt de bus en tôle sous des pins. Dans une côte, des garçons qui font du raffut sur de petites motos (un bruit ancien, rural). Retour vers le centre en fermant la boucle, je note les noms, la tristesse des noms : Salon Coiff’Lyre, O’Thentik prêt-à-porter (dans la vitrine, des blouses aux motifs d’épouvante, ceux qui les dessinent – qui est-ce ? – sont en phase avec ceux qui trouvent de tels noms). Là où peut-être existe un carrefour principal, les commerces en vue sont une boulangerie, une pharmacie et un distributeur de vidéos, je pourrais même ajouter le crocodile en peluche dans la vitrine d’un salon d’esthétique et des lupins poussant dans un puits comblé, des pavillons délaissés, une odeur d’eau de Javel, à quoi bon ? On l’aura compris, Culoz n’est pas un lieu de villégiature que je recommanderais, je peux même dire qu’assez vite je m’en suis enfui. Pour Lyon, où étrangement aucun de mes amis n’était là et où je me suis précipité à la brasserie Georges, pour corriger par la vision de l’immense salle Arts Déco, où cinq cents couverts peuvent être servis en même temps, les effets déprimants de ma halte culozienne. La brasserie Georges comme un rêve de paysan, les lumières de la ville et de solides nourritures sous de très hauts plafonds évoquant des retours de comices, des congrès, des fiançailles.
Donc attendant en gare de Culoz le train pour Lyon, je me suis occupé à détailler ce que l’on peut y voir et qui relève là aussi du délaissement, mais avec quelques appels nostalgiques d’un temps où le « chemin de fer » était roi : l’abri en forme de chalet aux motifs de bois festonnés, la passerelle métallique peinte en bleu clair, des rosiers chétifs et de lourds bancs de bois ou de béton sous quelques platanes, une salle d’attente avec papier peint à mouchetures, des chaises d’école dépareillées et une table de cuisine en Formica sur laquelle on trouvait Le Pèlerin et Valeurs actuelles. Qui dira la violence et l’efficacité avec lesquels de tels lieux – salle d’attente proprement dite ou quais déserts – installent une idée de la vie qui se prive presque automatiquement de toute dimension d’espoir ? C’est comme un forme de raffinement, mais à l’envers, et peut-être aussi comme une culture : il y a en tout cas une chaîne de sens unanime qui se transmet d’une gare à une autre, d’un bac à plantes à un autre et qui transite par toutes les herbes folles poussant le long des voies. À la fin, non seulement on s’habitue (l’attente se coule en elle-même, s’éprouve jusqu’à figurer une forme indolore du temps) mais on en redemande, non par un quelconque et snob appétit pour ce qui serait kitsch mais pour des effets de vérité, de véridicité, déposés à même les quais – une idéologie naïve qui vaut ce qu’elle vaut, fondée sur le principe que les fleurs, quelles qu’elles soient, égaient et que les trains, somme toute, finissent par arriver à l’heure, même s’ils sont en retard : idéologie, on le voit, à l’opposé celle, dominante, de l’efficacité lisse qui, elle aussi, a ses ornements, par exemple des palmiers ou des oliviers exilés dans de grands pots stupides comme on en voit gare de Lyon.
Mais la seule image qui peut-être a la force de se poster avant toutes ces autres, et peut-être aussi banale qu’elles, est celle de ce couple croisé alors que j’étais monté sur la passerelle et qui passait devant la gare, sur la route – lui, en survêtement et barbu, poussant un landau, elle, marchant à son côté, intégralement voilée. Un couple de mulsulmans intégristes, donc, comme on en voit désormais si souvent, mais qu’on ne se serait pas attendu à trouver à Culoz, alors même qu’en ce genre de lieux – villes ou villages égarés ou misérables, zones de péri-industrie, grande, voire très grande banlieue - c’est la règle. Ils étaient là, donc, dans la banlieue de rien, dans ce rien épars de la rurbanité nouvelle, et se parlant et riant, en promenade. Me voyant les regarder, l’homme me jeta un regard sans insistance, vaguement hostile, et c’est tout – ma pensée les accompagna ensuite, vaguement hostile elle aussi, puis s’interrogeant. Ce que je voudrais, c’est dire absolument et simplement de quoi elle était faite – de le dire, donc, à distance de toute déclaration comme de toute posture (lesquelles, de façon pénible, obsédante, sont l’une et l’autre d’usage courant aussitôt qu’il est question d’immigration et, plus encore, d’islam).
Donc au début, je l’ai dit, une vague hostilité : pas un mouvement de haine, mais un retrait, quasi un réflexe – pourquoi le nier ? Rien, dans ce qui nous fabrique et nous lance en avant dans le monde (et ce serait d’abord un fond républicain remontant à l’école publique des années cinquante – oh, il faudrait tout détailler, suivre toutes les ramifications de ce sentiment laïque spontané), ne peut préparer à cet effacement volontaire du visage féminin dont le voile est la marque. Rien non plus, si l’on pense aux gestes que la pratique rigoureuse de l’islam requiert – ces prières, ces interdits, cette absence de doute et d’ironie –, qui s’avance vers nous d’une façon compréhensible, directement admissible : les « limites de la simple raison » sont dépassées d’emblée et c’est ce qui nous crispe, mais voilà, en même temps, je dois le dire, de ce couple qui n’était pas silencieux – ils se parlaient, ils riaient – se dégageait une sorte d’harmonie, la sensation d’un partage, aussi bien, par le costume ou la panoplie, une intimité et peut-être une résistance à l’absorption pure et simple dans une nation en laquelle ils ne se reconnaissent pas. Comme c’est difficile ! Puisque je ne cherche à rien justifier, et surtout pas l’intégrisme et sa revendication haineuse, absolument tendue. Mais il y avait cette passegiata (y a-t-il un mot arabe pour désigner cela ?) et ce que je pouvais, à travers elle, imaginer de la vie de ces gens venus d’ailleurs et échoués là, à Culoz, dans un plu caché du monde sur lequel il tentaient une sortie : par conséquent leur cuisine et leur chambre, le tapis de prière roulé dans un coin, un calendrier, un biberon aussi, et des oranges, une bouilloire électrique, un sac de pain de mie à demi entamé... la nature morte que chacun improvise, la communauté facile des objets, comme un repli ou un refuge et ce que je sais, ce que je peux dire, c’est que « la France » est faite maintenant de cela, de cela aussi : de ces exils, de ces replis, de ces autels secrets et qu’il y a là comme un effet boomerang de l’époque coloniale, quand des hommes et des femmes, peut-être catholiques, venus d’Alsace ou de Normandie, poussaient eux aussi leurs landaus sur des chemins, à Tlemcen ou dans telle petite ville d’Algérie, un peu plus gaies peut-être que ne l’est Culoz.

 ©  Jean-Christophe Bailly & éditions du Seuil, Le Dépaysement, avril 2011.

Nessun commento:

Posta un commento